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2 juillet 2011 6 02 /07 /juillet /2011 13:24

C’est l’automne, c’est dimanche, c’est les années soixante dix …on va en Belgique…pour courir !

Je n’ai jamais su pourquoi je m’étais inscrit à l’athlétisme, j’aimais pas courir, mais j’ai toujours cru qu’à la fin on ferait autre chose que du cross sans cesse dans les bois, dans la boue, autour du stade ! J’ai couru en attendant cela, des années, sans aimer, pour me convaincre que j’en étais capable, qu’au fond de moi surgirait un jour l’envie, la force, le don… la reconnaissance des autres. Et si je me souviens j’y suis allé aussi pour cette tasse de chocolat chaud que l’on avait en fin de séance après la queue dans le froid ; une tasse d’un gruau bouillant, avec de la peau qui flotte ! C’est compliqué un individu, mais souvent on aime ailleurs ce que chez soi l’on ignore ! Ce chocolat je ne l’aurais jamais bu à la maison, question d’environnement, de circonstances, allez comprendre ! Et peut être courais je pour la paire de pointes, comme les champions, qui ne sert pas vraiment mais que l’on montre aux copains…des pompes aux trois bandes bleues et blanches, des chaussures magiques que l’on regarde plus que l’on ne chausse et qui vous transforment…dans la tête évidemment car en fait …ce sont les jambes qui font avancer ! Et les miennes de giboles, si grêles, étaient inféodées à ma tête, caboche trop fragile, qu’elles n’avançaient pas beaucoup. Alors chaque mercredi j’allais au club pour courir et courir en attente des activités estivales qui n’étaient que la portion congrue d’un désir en croissance … je me brûlais les bronches et les sucres musculaires dans d’interminables foulées répétitives pour ensuite prendre une douche dans ce vestiaire si froid, de ciment et sans âme… dans l’anonymat d’une atmosphère d’automne interminable et glacée. Les frissons et la vapeur de l’eau qui coule, la boue sur le sol, les affaires éparses, les gosses nus et blafards qui s’habillent debout sur les bancs de bois, la course pour la file d’attente, le chocolat fumant, la pluie et la vacuité du stade ; et Jacky, dans son survêtement sponsorisé et usé, déjà vieux à l’époque pour nous, et qui ne semble pas avoir changé, puisque je le revois parfois…vieux.

Jacky cet apôtre de l’effort, ce missi dominici de l’éducation du corps en croissance, ce pédagogue, moine de la transmission d’une passion, qui est encore tous les mercredi sur le stade et que l’on enterrera un jour  là bas derrière les buts ou sous la tribune afin que son âme vienne de temps en temps vérifier le placement d’un bassin juvénile ! Maillon de la chaîne éternelle des hommes qui grandissent. Et je suis sûr qu’il aura toujours, même mort, cette goutte au nez !!!

Donc je fais du cross, cahin caha, me traînant chaque mercredi dans les sous bois, la main sur les côtes à la recherche d’un souffle qui s’est coincé dans ce point de côté, ce fichu point que j’ai trimbalé des années durant sans comprendre pourquoi il restait avec moi et n’allait pas avec les autres qui couraient devant. J’ai usé de tous les produits miracles accessibles pour avancer plus vite et longtemps : sucre avant, pendant et après, vaseline fée sur mes gambettes glabres, crème chauffante, huile puante…mais nibe ! Mes jambes restaient rétives à tous ces onguents magiques, et je traînassais dans la boue avec ces pointes au pouvoir magique endormi ! Je faisais les compet !!! Oui oui ! Je les faisais espérant trouver plus chétif et maudit que moi, mais dès le départ j’avais déjà perdu, je crois que j’avais perdu bien avant, mais j’espérais qu’un jour la fatalité resterait au lit, et que la devançant au réveil, j’aurais enfin cette place qui m’était due : avant dernier, antépénultième et qui sait dans le ventre secret du  peloton !

On va donc en Belgique pour un championnat, tout le club, les grands, les moyens et les petits, on a un champion au Racing et il est avec nous…Ca parle de la course, des distances, de stratégies, ça rigole et moi je me demande si j’irais au bout ! J’ai déjà des crampes, mes jambes flageolent, je voudrais partir, rentrer chez moi et pourtant je suis là avec une envie de vomir !

Mes compagnons d’âge dramatisent le truc en sentant ma peur, en Belgique les catégories sont pas les mêmes me disent ils, c’est plus long. Plus long ! Mais je n’en reviendrai pas, ils vont devoir m’attendre, allumer les lampadaires ! Je vais mourir, me perdre…marcher. J’ai dans mon sac le vieux pot de vaseline trouvé dans la pharmacie familiale, mais elle ne sait pas la vaseline que les distances sont plus longues en Belgique ! J’ai aussi mes pompes de champion, avec toutes les pointes possible, car j’avais convaincu mes parents qu’il me fallait tout l’éventail de longueur afin de m’adapter selon les terrains ! Des courtes pour le tartan, des longues pour les lancers, des pour le sec, la pluie, la boue ! Mais pour la boue Française ! J’ai tout sauf les jambes et la confiance, ils ne les donnaient pas avec la licence ça le jour de l’inscription !

C’est la fête, odeurs, musique, plein de gosses, des athlètes qui vont en découdre dans la boue…Ouais c’est kermesse ! Pour tout le monde…moins un ! Moi je me demande ce qui va m’arriver, je suis en terre étrangère alors ça va être encore plus long, plus dur, et puis si j’arrête je ne saurai pas où je suis ! Je ne cesse de demander la distance à mes compagnons de calvaire afin de me rassurer…ils me paraissent tous surdimensionnés, des géants de dix ans, super équipés qui n’ont pas peur ! Je vais encore souffrir, corps et âme, m’humilier, fondre dans la fange et le froid. Le point est déjà là, il m’a de suite repéré, même en terre Wallonne ! J’ai plus de forces, l’échauffement m’a détruit, ça me brûle dans la gorge, les poumons, la bouche, mais si ! Ce goût acide qui fait que l’on crache sans cesse.

En ligne pour le départ, on est le centre du monde, tous aux aguets, prêts à bondir, comme les grands, pour s’élancer en premier ! Moi je me demande si je ne vais pas me perdre, et même si je vais en revenir, et… pan ! Ils sont tous partis comme des malades, moi non, économies, pas me griller, stratégie de course ! Au premier virage dans cette campagne d’outre Quiévrain je suis déjà seul en petites foulées, rythmant ma respiration et me tenant le côté…vivement la fin ! Je suis les traces à la craie sur le sol, les rubans colorés, encouragé par la commisération de ces Belges anonymes qui sécurisent le parcours… je suis perdu sur ce parcours fléchés, je voudrais m’arrêter, c’est un cross et si je marche... c’est la honte, et si je m’arrête en plus ce sera plus long ! Ils sont vachement plus grands les kilomètres belges, interminablement plats humides et boueux. Je ne demande ce que je fais là et j’avance en soufflant de façon caricaturale avec ce point qui ne veux pas me lâcher, parasite de mon diaphragme qui n’en peut mais. Je vais encore arriver dans l’anonymat, parmi la foule inattentive, dans les flon flon, me perdre dans la multitude enjouée et retrouver les vestiaires où les autres seront en train de narrer leurs exploits, choyés par les parents et autres pseudos entraîneurs…oui je vais passer en douce me faufiler, toute honte bue, entre les sourires apitoyés ou moqueurs, compassion d’adultes sincères ou de géniteurs rassurés sur les talents de leur progéniture.

Ils sourient mes potes, ça fait un bout qu’ils sont là, crottés et narquois ; ils sourient tout en récupérant, tandis que moi, avili, je cherche mes affaires dans ce fatras de sacs et vêtements épars. Je dois la faire sobre, ne rien dire car je suis le dernier, c’est animal, c’est le destin des mâles en périphérie, ceux qui prennent des tannés par alpha le dominant…je me fais petit et regroupe mes choses sur cet espace que je trouve à peine, discret, fatigué, outragé, mais soulagé.

Le reste de la journée on a regardé les courses des autres, c’était long, moi j’avais fait le plus dur, et m’intéresser au talent des autres ! Peut être que si un des gars du club avait réussi un exploit j’aurais fait le fier, celui qui se réclame de la famille pour grappiller un peu de gloriole faute de se l’octroyer seul…on veut souvent être le frère de, le copain du cousin du concierge du voisin de machin…c’est con un homme quand ça joui par procuration, c’est de la petite branlette, du plaisir d’occasion en douce et bon marché ! L’après midi a donc passé dans l’odeur de frites et la bousculade, laissant venir la brune, celle d’automne, humide et fraîche, épaisse. Nous nous sommes tous retrouvés le soir dans un bistrot pour la remise des prix !

Que vous dire de cet instant ? La remise des prix, c’est un truc d’être humain, c’est la société en réduction, selon que l’on est devant ou derrière c’est le bonheur ou l’humiliation. C’est bizarre cette façon que nous avons-nous les Hommes de s’émouvoir de la réussite des autres qui souvent sont ceux qui nous écrasent… ce besoin de retourner le couteau dans la plaie lors de cérémonies animées et outrées. Donc, j’allais à Canossa, applaudir mes vainqueurs et rendre patente ma nullité en public, et avec le sourire ! Un café de village qui sent bon l’ancien temps avec ses habitués et son décors neutre. Une table avec plein de lots, de tout, armoire à pharmacie, seau plastique, couverts à salade, poste radio, bref de tout, étalé sur cette table immense. La taverne d’Ali baba et les quarante coureurs ! Fallait les voir nos yeux d’enfants briller du désir d’appropriation, chacun l’avait en ligne de mire son trésor, plein les mirettes !

Moi j’avais oublié que j’étais le dernier, quelle capacité d’oubli et d’abstraction, et je regardais ces lots jetant mon dévolu si fatigué sur les plus beaux. Les plus beaux ? Eh oui je me disais que moi seul avait repéré ces lots et que les autres n’y voyaient que goutte, qu’ils ne s’intéressaient qu’aux babioles en plastiques et par bonté sportive me laisseraient l’un de ces trésors invisibles à leur gourmandise !

Et le supplice de commencer, par ordre croissant, les plus forts prenant la part du lion, se nourrissant de la bête au fur et à mesure, la carcasse diminuant au fil du classement ! Adieu radio ! Adieu armoire ! Adieu toutes ces belles choses qui m’étaient dévolues ! Ma prétention de barbare pilleur de table en terre ennemie diminuait au rythme des places égrenées, et à chaque fois je me convainquais de l’exceptionnelle beauté des seaux et autres bassines en plastiques qui semblaient devoir rester en fin de compte ! Qui semblaient devoir… Elles ne restèrent point ces bricoles de quatre sous, ces merveilleuses horreurs belges…d’aucuns antépénultièmes les trouvèrent à leur goût. Le relent spécial et amer de l’humiliation chaussée des escarpins de la déception s’en vint lentement dans ma bouche, et s’en fut ensuite là, en mon ventre, afin de le nouer et me faire défaillir. La table serait vide lorsque mon nom serait énoncé par ce Hérault à l’accent frustre et rocailleux ! Plus rien pour moi, même pas une timbale, un seau, une fourchette en plastique…rien, rien à ramener de ce plat pays ! Que ma défaite !

J’avais mal, si mal, et le pire arriva par l’échanson du mastroquet, le patron bonhomme bien de chez lui ! Ce type simple, paterne gouailleur lançant de sa voix de stentor (avec accent) un : « qui c’est le dernier ! » Mais pourquoi fallait-il me désigner à nouveau à tous ? Pourquoi me redire cette insulte ? Pourquoi me mettre à ce pilori ? N’avais je pas assez souffert aujourd’hui ? Tous cherchèrent donc ce dernier et je levai la main en signe de crucifixion ultime, me désignant à la foule. Ce bourreau enjoué m’appela auprès du bar et traversant le peuple d’athlètes comme un condamné je le rejoignis. Il leva les bras vers la dernière étagère, au dessus des verres et se saisit d’un coupe qu’il me tendit en disant : »tiens tchio (pti) tu l’as méritée ! » Une coupe !!! Une coupe pour moi, le dernier ! Une magnifique coupe de fer blanc avec socle en plastique merveilleux ! Une coupe inestimable pleine de poussière ! La gueule des champions, des traîne la langue sur la gadoue ! Qu’elle revanche, quel baume sur mon cœur si griffé par les pointes des autres.

J’ai été le héros du retour, fallait les voir ceux du club avec leur lots merdiques en plastique (vous savez ces seaux magnifiques que j’avais tant désirés), flagorneurs baveurs et jaloux, m’expliquer qu’ils étaient les mieux classés du bus et que par là donc ils méritaient la coupe…et que moi ils voulaient bien m’échanger ces cadeaux sublimes en dérivés pétroliers, gagnés à la sueur de leur vanité. Que dalle les champions ! Cette coupe c’était la coupe d’un dernier, une extraordinaire coupe de dernier inéchangeable…qu’un ange divin avait descellé du décor de son bistrot pour un dernier devenu par son cœur généreux premier le temps d’un retour en bus !

Cette coupe ma mère l’a balancée un jour, mais elle est là dans mon âme grâce à un type, qui un jour en Belgique, a senti passer ce souffle biblique sans le savoir, et c’est fait l’apôtre de ma douleur….il doit être vieux ou mort mais ce qu’il a fait ce jour là lui a ouvert en grand la porte du paradis…j’en suis convaincu !

 

*: si vous avez une bible vous pourrez comprendre le titre de cette nouvelle

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commentaires

V
<br /> <br /> "Beaucoup de premiers seront derniers, et les derniers, premiers".<br /> <br /> <br /> (pris sur internet)<br /> <br /> <br /> Bises, je ne fais que passer,<br /> <br /> <br /> Valdy<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Je pense que vous êtes la seule à avoir cherché le sens de ce titre :-)<br /> <br /> <br /> Merci fidèle Valdy<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> j'ai une Bible mais j'avoue être trop fégnante pour regarder ^^<br /> <br /> <br /> Pis moi aussi, je vous décerne une coupe, m'sieur le poète, mais pas la coupe pour le dernier !!! Non, non, la coupe pour le premier :)<br /> <br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Merci Dame céleste, tant pis pour le titre :-)<br /> <br /> <br /> Coupe ok mais aussi la bise au vainqueur :-)<br /> <br /> <br /> Allez je vous facilite la tache tapez marc 10.31 sur google<br /> <br /> <br /> <br />