Un jour ma fille tu auras vingt ans, car le temps, aux jours, aura ajouté des ans. Tu seras femme, petite femme devenue grande. Toi sang de mon sang, tu partiras, avec des peurs et des sourires, avide de demain et inquiète de ce qui s’y trouve, et moi, dans ma chamade envieillie, pour ton bonheur, je devrai cacher mes larmes.
Un jour ma fille, tu ne seras plus une enfant, et ma mémoire te cherchera tout au fond de moi. Dans les souvenirs, c’est moi que je trouverai surtout, et cet inexorable défilé de nous, ce sablier de la vie. Grains, grain après grain, qui s’écoulent, et jamais ne s’agglomèrent, qui s’en vont, emportant chacun, un peu de ce que nous étions.
Un jour tu seras maman, femme pleine de vie et d’allant, dans la plénitude des aujourd’hui souriants… tu viendras me voir forte, belle, rassurante, mais inquiète, en toi, de ma vieillesse, de mes rides chaque jour plus évidentes. Tu ne diras rien et me gourmanderas de ma tristesse. Les saisons passeront, dans la succession des faits et des jours.
Un jour ma fille tu seras vieille, et moi ne serai plus, c’est en toi que tu feras vivre et revivre un peu de ton père, tandis que tes enfants déjà n’en seront plus. En ton âme solitaire alors coulera aussi la même rivière, celle qui emporte des âmes les brindilles…là-bas, là-bas.